Les Quinze mille pas roman de Vitaliano Trevisan
Ce livre a été publié par Verdier dans sa belle collection " Terra d'altri ", consacrée à la littérature italienne. Parmi les auteurs présents, des écrivains d'exception comme Attilio Bertolucci, Gesualdo Bufalino, Giorgio Caproni, Silvio D'Arzo, Erri De Luca, Mario Luzi, Anna Maria Ortese, Domenico Rea, Mario Rigoni Stern
Mr. Bloom à Vicence
Pourquoi faut-il toujours calculer les distances en mètres et kilomètres ? Qui a dit qu'on ne pourrait pas, par exemple, utiliser les pas, plus personnels et surtout moins abstraits ?
Le problème lorsque l'on décide de remplacer le système métrique par " le pas " comme unité de mesure, c'est que les comptes n'y sont jamais.
C'est un livre plein de lyrisme, où les citations des poèmes d'Ossip Mandelstam s'intègrent bien. Seul bémol, la traduction. Elle est parsemée de maladresses grossières avec des choix terminologiques franchement incompréhensibles.
Thomas, le personnage principal, on pourrait dire l'unique personnage de ce livre, a pris l'habitude de noter le nombre de pas de tous ses déplacements, à l'aller et au retour. Pour les longs trajets, l'écart entre les deux est toujours considérable. Plus la distance à parcourir est importante, plus le nombre de pas pour arriver diffère de celui pour retourner. Enfin, à une exception près : Lorsque Thomas se rend chez le notaire Strazzabosco. Depuis la maison, il lui faut quinze mille pas pile poil et pour rentrer chez lui exactement le même nombre. Etonnant. Signe que le décalage entre Thomas et la réalité, le monde réel a disparu ou est en train de disparaître ? La disparition justement est un des thèmes les plus présents tout au long de la narration. Les disparitions se succèdent et en rappellent d'autres, plus anciennes. Disparition des parents, de la sœur, du frère… et, au fur et à mesure que l'on avance, disparition aussi des nombreux mystères qui entourent ce personnage totalement isolé, une sorte de monade, sans jamais l'affecter vraiment. Le seul point de contact que Thomas garde avec le monde et sa ville, Vicence, dont il haït le provincialisme, est son soulier.
Le style du jeune auteur, qui vit lui aussi à Vicence, en Vénétie, est aussi particulier que son personnage. Il s'agit d'un long monologue intérieur, sous la forme de flux de conscience joycien. Le langage est rapide, essentiel, percutant. Une très belle surprise de cette rentrée littéraire, à lire absolument.
Stefano Palombari