Publié le lundi, 6 juillet 2009 à 09h31
Dix petites pieces philosophiques de Giacomo Leopardi
« T’imaginais-tu donc que le monde était fait pour vous ? », demande la Nature à un Islandais. « Contrairement à ce que vous pensez, je ne fais rien pour vous plaire ou vous servir. Enfin, quand toute votre race s’éteindra, je ne m’en apercevrais même pas. » - Écologie ?
« À présent que les hommes ont disparu », dit l’Elfe au Gnome, « on ne voit plus d’États gonfler puis éclater comme des bulles ; ils se sont tous évanouis. » - Fantastique ?
« Ne voudriez-vous pas revivre ces vingt ans, et tout votre passé depuis le jour de votre naissance ? » demande le Passant au Vendeur d’almanachs. - Éternel Retour ?
« La solitude joue presque le rôle de la jeunesse », assure le démon au Tasse. « Elle rajeunit l’âme, renforce et réactive l’imagination, et renouvelle dans l’homme expérimenté les bienfaits de cette première inexpérience que tu pleures. » - Thérapie ?
Ces répliques toujours intrigantes et finement ciselées sont le fruit du travail d’orfèvre de Giacomo Leopardi. Le pauvre ne se trouvait pas beau gosse, boudait Dieu et l’amour tout court. Fils de comte et de marquise, il eut une existence maussade, recluse dans la maison paternelle, avec santé et finances défaillantes. Il naquit à Recanati, dans les Marches, en 1798 ; il mourut à Naples, à trente-neuf ans. Entre temps, il fut une sorte de Schopenhauer italien - pour le pessimisme et la pensée de la vie - mâtiné de poète lyrique et sensualiste. Autant dire, l’un des plus grands moralistes italiens avec Machiavel. Il nous laisse un œuvre injustement méconnue en France, dont les Dix petites pièces philosophiques, extraits des Operette morali traduits et présentés par Michel Orcel, et rééditées aux Éditions Le Temps Qu’il Fait (2009).
Dans une préface de dix pages bourrée de pistes et de clés de lecture, le traducteur cerne parfaitement l’enjeu du « théâtre philosophique » léopardien : « le classicisme comme instrument de subversion ». « Dialogue de Malembrun et Farfadet », « Dialogue de Frédéric Ruysch et de ses momies », « Éloge des oiseaux »... Les dix textes choisis offrent une belle cohérence, stylistique et thématique. Humour constant, reparties qui fusent, festival de genres variés ; le tout dessine une pensée de l’énergie vitale, créatrice de valeurs. « La vie, par nature, est un état violent. » Oui, Nietzsche a bu de ce Leopardi. Jusqu’à la lie.
Que dit-il, au fond, ce philosophe de l’« infélicité » (infelicità) ? - Trop de rationalisme tue le bonheur. Les erreurs, les errements sont nécessaires pour espérer, ou, du moins, rendre le monde supportable. Philosophie désespérante ? Au contraire : roborative, en ces temps de crise totale ! « Allons, Mortels, réveillez-vous », exhorte-il dans le « Cantique du Coq sauvage ». « Le jour renaît, la vérité revient sur terre, et les vaines images se dissipent. Levez-vous ; reprenez le fardeau de la vie ; repassez du monde fictif au monde véritable. »