Publié le vendredi, 15 mai 2009 à 12h23
Le Courage du rouge-gorge de Maurizio Maggiani
Les récits de Maurizio Maggiani sont toujours un voyage captivant entre terres et époques lointaines, lointaines de nous et lointaines les unes des autres. Le courage du rouge-gorge ne fait pas exception. Un tourbillon ininterrompu qui s’amuse à sauter entre l’Egypte des années 60 et l’Italie du XVI siècle.
On commence à Alexandrie, patrie acquise du jeune Saverio Pascale, fils d’émigrés italiens, qui ne se sent pas appartenant à un lieu spécifique. Ce qui déclenche le début des événements est la découverte, parmi les affaires du père mort noyé, du recueil de poèmes du poète Giuseppe Ungaretti « Le port enseveli ». Cette révélation trouble Saverio et provoque pas mal de questions et de doutes. Pourquoi le père, anarchiste acharné, ayant fui l’Italie pendant la période fasciste, avait en considération un individu soupçonné d’amitié avec le Régime ? Se pourrait-il que le père ait rencontré le poète, né à Alexandrie, ville où dans sa jeunesse il fréquentait des cercles anarchistes ?
D’où la nécessité de découvrir ses origines et de reparcourir le chemin du père à l’envers, de l’Egypte au pays de ses ancêtres, Carlomagno, un minuscule village caché parmi dans les montagnes inhospitalières de l’Apulia - au nord de la Toscane – à l’écart des routes du monde « civilisé », et habité par un peuple têtu et farouche.
L’étape à Rome lui donne l’occasion d’une rencontre furtive avec le poète en personne, qui lui fait cadeau d’un nouveau mystère à résoudre : un ancien document qui rappelle la condamnation pour hérésie d’un certain Pascal. Le retour en Afrique devient le début d’un nouveau voyage, cette fois-ci dans les études et les livres. Le morceau de papier demande une nouvelle enquête et une nouvelle histoire. La mosaïque se compose d’autres tesselles, les connaissances se multiplient, et pourtant l’image se complique et le dépaysement augmente.
Rien de concret entre ses mains, il ne lui reste qu’à écrire lui-même l’histoire de l’hérétique Pascal.
La narration est interrompue par un accident : Saverio, plongeur expérimenté, reste trop longtemps sur le fond de la mer, peut-être parce qu’il est à la recherche du « port enseveli » chanté par le poète, et il ressort avec une embolie. A l’hôpital, le médecin essaie de le guérir par l’écriture, la meilleure façon pour enquêter entre les plis de ses pensées confuses. La maladie est une nouvelle renaissance : sorti de l’hôpital, il peut enfin terminer l’histoire, cette fois racontée en présence de tous ses copains et des vieux amis anarchistes du père.
Le courage du rouge-gorge a obtenu en Italie plusieurs prix littéraires et surtout un grand succès du public. C’est un livre dense, où chaque personnage et chaque lieu ont une signification jamais due au hasard et souvent émouvant.
Le liant de tout ça est une sincère preuve d’amour pour l’écriture et pour le métier d’écrivain : le goût pour la narration, la lecture, l’attachement aux livres, ce sont les vrais protagonistes du récit.
Il ne manque même pas des citations littéraires. Par exemple, le médecin qui conseille à Saverio d’écrire un journal intime, nous rappelle le Docteur S. de La Conscience de Zeno. Ou la recherche frénétique des documents sur l’Inquisition, dans un monastère du désert égyptien, fait penser aux savantes dissertations dans la bibliothèque du Nom de la rose.
Les liaisons les plus évidentes sont, naturellement, celles avec l’oeuvre et la vie de Ungaretti, qui est à l’origine de toute l’histoire. « Le port enseveli » est pour Saverio le mystérieux port ancien de la ville d’Alexandrie, mais l’inquiétude conséquente à la lecture des vers démontre que le message du poète a atteint la cible : le port enseveli est ce qui reste de secret en nous, et qui, bien que l’on fouille, reste toujours indéchiffrable et inépuisable.