Publié le samedi, 6 septembre 2008 à 10h57
Un Rigoletto mis en scène par Jérôme Savary
L'Histoire - surtout en matière d'art - est une bonne fille à qui l'on fait dire à peu près tout ce qu'on veut. On peut très raisonnablement soutenir, par exemple, que la création de Rigoletto à Venise, le 11 mars 1851, a «lancé » Verdi sur le plan mondial. Si l'on considère en effet que cet ouvrage fut immédiatement suivi de deux autres chefs-d'œuvre, Il Trovatore et La Traviata, dont le succès universel dure encore, et que le musicien enfin délivré de tout souci matériel en profita aussitôt pour ralentir le rythme de sa production, il est clair que Rigoletto marque la fin des «années de galère » au cours desquelles Giuseppe Verdi servit une douzaine de partitions à sa clientèle locale. Ses grands devanciers, les maîtres du « bel canto », avaient fait une carrière presque aussi française qu'italienne : les Parisiens, les premiers, avaient entendu le chant du cygne de Rossini (qui devait se fixer dans leur ville et y mourir beaucoup plus tard), de Bellini (qui expira peu après à Puteaux) et de Gaetano Donizetti. Seul Verdi, attaché en vrai paysan à sa terre natale, était arrivé à l'âge de trente-huit ans sans beaucoup sortir de sa Lombardie. Il est vrai que les circonstances, jointes à ses propres convictions patriotiques et libérales, avaient fait de lui le chantre du « Risorgimento » . Depuis 1842, l'année de la création de Nabucco, il était l'un des grands hommes du parti de l'indépendance et de l'unité de l'Italie, et prenait très au sérieux son rôle politique.
Gardons-nous cependant de trop systématiser. Il ne faudrait pas croire que Rigoletto fut pour l'Europe éblouie la révélation d'un génie inconnu hors des frontières de sa province. En 1851, Giuseppe Verdi était un fournisseur attitré de la Scala de Milan, qui avait accueilli dès 1839 Oberto, son premier ouvrage. Il avait également travaillé pour Rome, Naples, Venise, Trieste, Paris et même Londres. Le monde musical unanime reconnaissait en lui le digne successeur des "Trois Grands», déjà nommés, de l'opéra romantique; eût-il alors cessé d'écrire que la postérité ne l'en aurait pas moins consacré comme tel. Si Nabucco et les autres opéras de la première manière de Verdi sont aujourd'hui négligés, c'est parce que le compositeur a fait beaucoup mieux par la suite. Nous ne savons pas ce qu'aurait donné Bellini s'il n'était pas mort à trente-quatre ans, ou Rossini s'il n'avait pris sa retraite à trente-sept; mais en ce qui les concerne, force nous est de nous contenter de ce qu'ils ont produit avant. Verdi, lui, a vécu très exactement un demi-siècle après Rigoletto. Et il a travaillé, voire progressé, presque jusqu'à la fin.
Qu'apporte donc Rigoletto pour mériter une place à part dans la biographie de son auteur? Si l'on peut à la rigueur y discerner des signes d'évolution, ce n'est assurément pas une révolution. Le style de Verdi n'a guère changé depuis Nabucco. Le langage mélodique reste simple et direct, et toujours en situation (alors que Rossini et ses disciples ne se privaient pas d'introduire les plus joyeuses ritournelles dans des textes à faire frémir). L'orchestre n'est pas moins expressif, mais ses interventions "en soliste», rares et généralement brèves, comme pour esquisser une sorte de décor sonore; il se borne le plus souvent à accompagner les chanteurs à la manière d'une « grande guitare», suivant l'expression bien connue de Verdi lui même. Il faudra attendre Don Car/os, en 1867, pour que le musicien commence à exploiter sérieusement un talent de symphoniste qui s'épanouira ensuite dans Aïda, Otello et Falstaff, sans parler du Requiem.
Ce qu'il y a de vraiment nouveau dans Rigoletto, c'est la perfection d'un art parvenu à sa maturité. Perfection telle que rien n'est de trop dans tous ces airs, duos, trios, quatuors et chœurs. Ni hors-d’œuvre, ni longueurs, ni remplissage. Rares sont les ouvrages lyriques à ce point dépourvus de déchet, dont chaque morceau s'impose à l'attention et à la mémoire de l'auditeur. Hormis Faust et Carmen, il n'en existe pas qui soit aussi populaire; quantité de gens qui n'ont jamais mis les pieds au théâtre savent quand même par cœur l'air de Gilda ou « la plume au vent ».
Il est juste d'ajouter que cette exceptionnelle réussite doit beaucoup au livret de Francesco-Maria Piave, lui-même-inspiré - pour ne pas dire traduit d'un drame de Victor Hugo déjà vieux de près de vingt ans: le Roi s'amuse. Et pourtant, le Roi s'amuse n'avait pas été précisément un succès.
Le Roi s’amuse connut une gloire éphémère. Paradoxalement, le succès de Rigoletto ne se démentira jamais et l’œuvre est demeurée de nos jours l’une des plus populaires de Verdi, immortalisée notamment par l’air célèbre du duc de Mantoue « La donna è mobile » et le quatuor du dernier acte. Verdi s’éloigne avec Rigoletto des canons du bel canto encore en vigueur à l’époque. S’il sollicite encore la virtuosité pure (en particulier dans l’air de Gilda « Caro nome »), c’est pour l’intégrer à la trame dramatique, pour caractériser un personnage et non plus uniquement pour offrir au spectateur un morceau de beau chant sans rapport avec l’action. Le chœur est un personnage à part entière de l’action, qui concourt à l’évolution du drame. La construction n’est plus fonction de l’alternance d’airs, de duos et d’ensembles, le drame est centré sur les interventions du rôle-titre. De la profération de la malédiction à sa réalisation, Rigoletto suit une rigoureuse progression dramatique.
Rigoletto est créé à La Fenice de Venise le 11 mars 1851. La première représentation parisienne a lieu au Théâtre des Italiens le 19 janvier 1857. L'œuvre à l'Opéra de Paris Rigoletto a été représenté pour la première fois intégralement au Palais Garnier le 27 février 1885. Avec Faust et Samson et Dalila, c'est l'opéra qui a été le plus joué dans ce théâtre. Parmi les nombreux interprètes de l'ouvrage, citons : Nellie Melba, Toti dal Monte, Lily Pons, Mado Robin, Mady Mesplé, Christiane Eda-Pierre (Gilda), Enrico Caruso, Georges Thill, José Luccioni, Beniamino Gigli, Nicolaï Gedda (le duc), Maurice Renaud, Ernest Blanc, Gabriel Bacquier, Robert Massard (Rigoletto). Les dernières représentations ont eu lieu en 1988, sous la direction musicale d'Alain Lombard (en alternance avec Alain Guingal), dans une mise en scène et des décors de Jean-Marie Simon et avec Alida Ferrarini (Gilda), Pietro Ballo (le duc) et Alain Fondary (Rigoletto).
Rigoletto entre au répertoire de l’Opéra Bastille en 1996, dans une mise en scène de Jérôme Savary, avec, en alternance, Andrea Rost / Youngok Shin / Ruth Ann Swenson (Gilda), Ramon Vargas / Frank Lopardo (le duc de Mantoue), Paolo Gavanelli / Juan Pons (Rigoletto), sous la direction de James Conlon. C’est cette production, dans laquelle on a également pu entendre Laura Claycomb, Ruth Ann Swenson, Roberto Aronica, Stephen Mark Brown, Marcelo Alvarez, Alexandru Agache et Juan Pons, qui est de nouveau à l’affiche.
Direction musicale Daniel Oren, mise en scène Jérôme Savary, décors Michel Lebois, costumes Jacques Schmidt et Emmanuel Peduzzi, lumières Alain Poisson, chef des Chœurs Alessandro Di Stefano. Avec : Il Duca di Mantova Stefano Secco, Rigoletto Juan Pons/Ambrogio Maestri (17, 20, 22, 24, 28, 31 oct., 2 nov.), Gilda Ekaterina Syurina, Sparafucile Kristinn Sigmundsson, Maddalena Varduhi Abrahamyan, Il Conte di Monterone Carlo Cigni, Giovanna Cornelia Oncioiu, Marullo Igor Gnidii, Matteo Borsa Jason Bridges, Il Conte di Ceprano Yuri Kissin, La Contessa Claudia Galli, Paggio della Duchessa Anna Wall
Informations pratiques
Opéra Bastille120, rue de Lyon - 75012 Paris (M° Bastille)
Tarifs : de 5 € à 138 €
Tél. 0 892 89 90 90 (0,337 €/Min)
Dates : du 24 septembre au 2 novembre 2008