Publié le samedi, 10 octobre 2009 à 17h04
Vincere, film de Marco Bellocchio
Dans la vie de Mussolini, il y a un lourd secret que l’histoire officielle ne raconte pas : une femme, Ida Dalser, et un enfant, Benito Albino - conçu, reconnu puis désavoué. Ida rencontre Mussolini de manière fugace à Trente et en est éblouie. Elle le retrouve à Milan où il est un ardent militant socialiste qui harangue les foules et dirige le quotidien l’Avanti. Ida croit en lui, en ses idées. Pour l’aider à financer le Popolo d’Italia, point de départ du futur parti fasciste, elle vend tous ses biens… Lorsque la guerre éclate, Benito Mussolini s’engage et disparaît de la vie de la jeune maman, qui découvrira avec stupeur qu’il est déjà marié avec une autre femme. Ida n’aura dès lors de cesse de revendiquer sa qualité d’épouse légitime et de mère du fils aîné de Mussolini, mais sera systématiquement éloignée de force et son enfant mis dans un institut. Pourtant, elle ne se rendra jamais et ne cessera de clamer haut et fort sa vérité.
Quelques questions à Marco Bellocchio
Comment avez-vous eu connaissance de l’existence d’Ida Dalser ? Je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Je l’ai découverte il y a quelques années en regardant un documentaire à la télévision : Il segreto di Mussolini de Fabrizio Laurenti et Gianfranco Norelli. J’ai trouvé qu’Ida Dalser - qui a eu avec Mussolini un enfant d’abord reconnu, puis renié par lui - était une femme extraordinaire. Elle cria sa vérité jusqu’au bout, bien que le régime chercha à en détruire toute trace. La femme et le fils secret de Mussolini étaient un scandale à cacher, au point que leur existence, non seulement physique, devait être effacée. Tous deux furent enfermés dans un asile d’aliénés où ils moururent.
Et, encore aujourd’hui, si on se rend dans la région natale d’Ida Dalser, c’est-à- dire dans le Trentin-Haut-Adige, on est surpris de voir combien la mémoire collective a gardé un souvenir très net de cette tragédie oubliée par l’histoire officielle qui a pourtant fait l’objet de deux livres - La moglie di Mussolini de Marco Zeni et Il figlio segreto del Duce d’Alfredo Pieroni - riches en documents et en témoignages. Ainsi, les très nombreuses lettres qu’Ida Dalser écrivait aux plus hautes autorités, y compris au Pape (et bien entendu à Mussolini lui-même), dans lesquelles elle les supplie de reconnaître son statut d’épouse légitime de Mussolini et de mère de son premier enfant. On y trouve également des réponses du Duce.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce sujet : la confrontation avec l’Histoire ou bien l’histoire même de ces personnages ? Relever et dénoncer les infamies du régime fasciste ne m’intéressait pas. J’ai été profondément touché par cette femme et par son refus absolu de tout compromis. Au fond, elle aurait pu accepter de retourner dans l’ombre, peut-être même en aurait-elle été largement bénéficiaire, comme ce fut le cas de beaucoup d’autres maîtresses de
Mussolini, et comme ce fut toujours le cas pour toutes les maîtresses des puissants de ce monde. Elle, non. Elle voulait revendiquer sa propre identité. Elle ne pouvait pas accepter la trahison de cet homme. Un homme qu’elle a, comme elle l’écrit dans ses lettres, aimé d’une manière absolue et à qui elle a tout donné, y compris son patrimoine.
Mais Mussolini, une fois devenu Duce, devait se défaire de cet ancien amour - notamment parce que le régime ne pouvait absolument pas compromettre les relations qu’il entretenait avec l’Église et qui devaient aboutir à la signature des accords du Latran en 1929. Au point que le Pape qualifiera plus tard Mussolini «d’homme de la Providence» ! La mère devait disparaître avec l’acte de mariage, et le fils, avec l’acte de naissance, sur lequel le nom de famille sera par la suite modifié. Ils ne devaient donc plus exister.
Comment percevez-vous Ida Dalser ? Elle ne pouvait pas choisir la médiocrité, car au fond elle partageait les idées politiques de Mussolini à ses débuts, une certaine dimension héroïque, interventionniste, anti-collectiviste, individualiste, futuriste. Elle tombe éperdument amoureuse de ce jeune homme quand celui-ci n’est encore personne. Elle l’aime quand personne ne l’aime. Elle le défend quand il est sans le sou, attaqué et insulté…
Puis, la situation va s’inverser : quand tout le monde aime le Duce, elle reste seule et tous vont se retourner contre elle. Mue par cet amour irresponsable, incapable de reconnaître les rapports de force, elle se met à dos toute l’Italie qui, en pleine mutation fasciste, va se regrouper autour de Mussolini.
Le comportement d’Ida Dalser, son courage de tenir tête au Duce, de ne jamais fléchir, rebelle jusqu’à la fin, me fait penser à certaines héroïnes de tragédie grecque - Antigone surtout, et bien d’autres encore -, mais aussi à des héroïnes de notre répertoire lyrique comme Aïda, par exemple. Et en cela, le film est également un mélodrame qui raconte l’invincibilité d’une petite femme italienne qu’aucun pouvoir ne fera fléchir. D’une certaine façon, c’est elle qui gagne.
Dans quelle mesure représentait-elle un danger pour Mussolini ? À partir d’une certaine date, elle ne reverra plus Mussolini, si ce n’est au cinéma, dans les journaux d’actualités cinématographiques, où elle demeurera stupéfaite
face à l’image de cet homme devenu si grand à l’écran, tel un acteur, ou une star. Et nous assistons, à travers son regard, à la transformation de cet homme. À partir du moment où Mussolini franchit « le seuil médiatique », il devient différent, y compris pour elle : de Mussolini, il devient Duce. Sans en être consciente, elle assiste à un changement irréversible en politique.
C’est Mussolini qui crée le premier un régime basé sur l’image. Avec lui, la politique entre dans le monde de l’image et de l’imaginaire. C’est un point de non retour dans l’Histoire. Aujourd’hui, certains de ses comportements nous semblent ridicules, voire clownesques, mais l’élaboration de ce style lui a permis de conquérir les masses. Son image ne pouvait donc pas être écornée. Et c’est cet homme-là - l’homme médiatique - qui va persécuter Ida Dalser parce qu’elle aurait pu le dénoncer, faire un scandale en public et devenir objectivement un danger pour son image.
Vous avez utilisé beaucoup d’images d’archives. Est-ce pour donner plus de vérité au film ou bien pour des raisons stylistiques ? Sans aucun doute, pour des raisons stylistiques, mais aussi pour des raisons liées à la production car on ne pouvait pas tout reconstruire. Il fallait que les images d’archives se fondent avec les images du film et en faire un style. Il fallait passer de l’image du jeune Mussolini, interprété par un acteur, aux vraies images du dictateur pour ressentir ainsi le temps de l’histoire. À partir de l’année 1922, l’acteur disparaît, et seul demeure à l’écran le vrai Mussolini.
Informations pratiques
Dans les sallesDates : à partir du 25 novembre 2009
jeu-concours des places à gagner (terminé) réservé aux abonnés à notre lettre
Bande annonce :