Publié le mardi, 12 août 2008 à 15h48
Violences ordinaires dans une ville biblique
A Gomorra tout est possible : il n’y a pas de règles, pas de lois, pas d’interdits. Comme l’avait bien expliqué Roberto Saviano, auteur du livre éponyme, Gomorra est l’économie de marché totalement débridée et débarrassée des entraves de l’éthique. Lorsque les intérêts sont menacés, on réagit de la manière la plus efficace possible, homo homini lupus.
Le film de Matteo Garrone rend parfaitement cette effroyable absence de limites. Tout le monde peut devenir une cible, du moment qu’il menace les équilibres existants. À l’instar de la ville biblique détruite par Dieu, celle en Campanie ne craint guère de « jugements », ni divins, ni humains.
A Gomorra, c’est la camorra, la mafia napolitaine, qui commande. Et le titre le rappelle par assonance car, comme déjà plusieurs fois souligné, il ne s’agit pas de la contraction de Gomorrhe et de camorra, ce que continuent de prétendre certains journalistes mal informés, mais tout simplement Gomorrhe en italien. L’éditeur et le distributeur ont décidé de garder le titre italien.
Le pari de Garrone n’était pas facile à gagner. Traduire en images un livre comme celui de Saviano n’était pas une mince affaire. Mais le réalisateur a su rester fidèle à l’idée du livre tout en s’éloignant de sa structure. C’était d’ailleurs la seule possibilité d’adapter pour le cinéma un livre aussi complexe que Gomorra. Matteo Garrone a choisi donc de raconter quatre histoires qui se croisent dans les allées de cette ville surréaliste. Les péripéties de Toto, le gamin de 13 ans qui veut grandir vite et qui sera dépassé par les événements, de Marco et Ciro les deux jeunes Scarface, les deux têtes brûlées qui payent au prix fort leur inconscience, de Franco (un magnifique Toni Servillo), qui représente le côté respectable de la camorra dans le business des déchets toxiques, de Pasquale, le couturier de génie touchant et malheureux donneront au spectateur un bon aperçu du phénomène.
Le tournage a été effectué pour la plupart à Scampia à l’intérieur des « vele », ces constructions monstrueuses conçues par un architecte fou ou ivre (il s'agit apparemment d'un architecte japonais) qui sont devenues le plus grand supermarché de la drogue en Europe.
C’est un film qui s’est vu attribuer, à juste titre, le Grand prix au dernier festival de Cannes. Un film de dénonciation, un film engagé, genre dans lequel l’Italie était un modèle dans l’après-guerre. Puis, les cinéastes italiens l’avaient abandonné pendant longtemps pour se consacrer aux films d’introspection. On ne peut que saluer ce retour du cinéma italien politisé (le 31 décembre sortira « Il Divo » l’autre film italien primé à Cannes) et la presse a d’ors et déjà couvert amplement l’événement avec des articles et des dossiers, notamment « le Point » qui a sorti, en partenariat avec « Le Pacte », le distributeur du film, un supplément entièrement consacré à Gomorra.